23 Ağu 2010

Le Pantin

Adnan Sözmen, narrateur et personnage principal de ce roman, est un journaliste qui a eu ses heures de gloire. Du matin où il ne peut plus entrer dans le grand immeuble de son journal, où les gens, de l’hôtesse d’accueil au sommet de la hiérarchie, qu’il côtoie quotidiennement ne lui parlent plus, se détournent de lui, sa vie bascule. À présent, il se trouve près de toucher le fond que ce soit dans sa vie sociale, professionnelle ou affective, l’alcool et ses illusions aidant. Le jour où il se fait licencier, il rencontre « par hasard » Dogan, son beau-frère - le fils de la seconde épouse de son père - qu’il a perdu de vue depuis longtemps mais avec lequel il a partagé son enfance et dont il a gardé de mauvais souvenirs en raison, entre autres, de leurs grandes divergences politiques. Dogan, craignant pour sa vie, demande à Adnan de lui accorder son aide. Celui-ci, presque malgré lui, par instinct journalistique et par curiosité, va  finir par s’impliquer dans cette affaire complexe qui va le mettre en butte à ce qu’on appelle en Turquie le Derin Devlet, c’est-à-dire l’État Profond ou l'État dans l'État constitué de hauts fonctionnaires, de membre des forces de sécurité et de militaires qui agissent en dehors du gouvernement et qui sont considérés comme protecteurs des intérêts nationaux même s’ils utilisent des moyens illégaux. Adnan va donc avoir affaire avec des bandes organisées, constituées entre autres d’ex-militants d’extrême-droite impliquées à la fois dans la lutte contre l’ASALA (mouvement arménien) ou contre la guérilla kurde et dans le trafic de drogue et les affaires mafieuses.
Ce roman fait directement référence à l’accident de Susurluk qui eut lieu en 1996 et qui fit scandale suite à la découverte de la présence dans la Mercedes accidentée 
d’un haut responsable de la police qui commandait des unités antiguérilla, 
d’un homme en fuite recherché pour trafic de drogue et meurtre 
et d’un chef de guerre kurde, dont la milice était financée par le gouvernement turc pour lutter contre la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Au-delà de l’intrigue fort bien menée et qui maintient le suspense jusqu’à la fin, l’auteur-narrateur laisse une large place à la description de la personnalité du journaliste tout en l’installant dans les tons sombres de son environnement urbain, familial et social. Ahmet Ümit crée une sorte d’histoire dans l’histoire. Par flash back, il évoque l’enfance et l’adolescence d’Adnan Sözmen en s’attardant notamment sur ses relations avec son père et son beau-frère et il nous entraîne dans les méandres de l’esprit de son héros embué par l’alcool et taraudé par la névrose. Ce roman, véritable tableau vivant de la Turquie urbaine d’aujourd’hui, met en scène cette dernière avec tous ses travers, ses contradictions notamment dans sa façon de vouloir absolument « singer » l’Occident américain ; une fable moderne et juste, un geste romanesque profondément ancré dans la réalité.