25 Tem 2010

Madame Bovary

Il faut avoir l'esprit compliqué, et pénétrant, d'un Gustave Flaubert pour s'interroger, par exemple, sur ce que fait une toute petite bourgeoise d'origine paysanne, mariée toute jeune à un petit médecin de campagne, condamnée à la compagnie ennuyeuse de petits notables d'une petite ville de province, pour entreprendre de définir, à travers une fiction littéraire, les principaux traits d'un type sociologique de comportements liés de façon générale à une certaine classe de conditions sociales d'existence: le bovarysme. Mme Bovary ne sait évidemment pas qu'elle bovaryse, qu'elle est un cas typique d'une situation socialement déterminée le dépassant infiniment, le personnage d'un drame qui relève d'une forme répandue de pathologie sociale, quelque chose qu'on pourrait appeler "névrose de distinction" et qui, bien au-delà du microcosme yonvillois, caractérise l'enfermement petit-bourgeois. Tout ce dont elle a conscience, quant à elle, c'est qu'elle s'ennuie mortellement, qu'elle est à ses propres yeux une femme éprise de grandeur et animée de noble aspirations, méritant une existence plus aristocratique que la sienne. Elle sait - ou croit savoir - ce qu'elle fait et pourquoi. Elle croit, comme la plupart des gens, piloter sa barque à sa guise, avoir librement fixé son cap, alors qu'elle est, en ce qui concerne, en train de dériver sur un radeau existentiel qui la conduit au naufrage. Elle croit être unique, original et libre et elle ne sait pas que, dans la sociétés de classes, les Bovary sont légion et que chacune d'elles est l'incarnation singulière d'un destin socialement programmé, fréquemment observable dans les classes moyennes, et pas seulement chez les agents de sexe féminin.

On comprend du coup pourquoi les gens les plus instruits, les intellectuels en particulier, sont les plus réfractaires à l'objectivation sociologique de leur être propre.