5 Haz 2010

LA VOLONTÉ DE SAVOIR (HISTOIRE DE LA SEXUALITÉ, I)

" On nous explique que, si la répression a bien été depuis l'âge classique, le mode fondamental de liaison entre pouvoir, savoir et sexualité, on ne peut s'en affranchir qu'à un prix considérable : il n 'y faudrait pas moins qu'une transgression des lois, une levée des interdits, une irruption de la parole, une restitution du plaisir dans le réel, et toute une nouvelle économie dans les mécanismes du pouvoir ; car le moindre éclat de vérité est sous condition politique. De tels effets, on ne peut donc les attendre d'une simple pratique médicale, ni d 'un discours théorique, fût-il rigoureux. Ainsi dénonce t-on le conformisme de Freud, les fonctions de normalisation de la psychanalyse, tant de timidité sous les grands emportements de Reich , et tous les effets d'intégration assurés par la "science" du sexe ou les pratiques, à peine louches, de la sexologie.

Ce discours sur la moderne répression du sexe tient bien. Sans doute parce qu'il est facile à tenir. Une grave caution historique et politique le protège; en faisant naître l'âge de la répression au XVIIe siècle, après des centaines d'années de plein air et de libre expression, on l'amène à coincider avec le développement du capitalisme : il ferait corps avec l'ordre bourgeois . La petite chronique du sexe et de ses brimades se transpose aussitôt dans la cérémonieuse histoire des modes de production; sa futilité s'évanouit. Un principe d'explication se dessine du fait même : si le sexe est réprimé avec tant de rigueur, c'est qu'il est incompatible avec une mise au travail générale et intensive; à l'époque où on exploite systématiquement la force de travail, pouvait on tolérer qu'elle aille s'égailler dans les plaisirs, sauf dans ceux, réduits au minimum, qui lui permettent de se reproduire ? ...
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XVIIe siècle : ce serait le début d'un âge de répression, propre aux sociétés qu'on appelle bourgeoises, et dont nous ne serions peut être pas encore tout à fait affranchis. Nommer le sexe serait, de ce moment, devenu plus difficile et plus coûteux. Comme si, pour le maîtriser dans le réel, il avait fallu d'abord le réduire au niveau du langage, contrôler sa libre circulation dans le discours, le chasser des choses dites et éteindre les mots qui le rendent trop sensiblement présent. Et ces interdits mêmes auraient peur, dirait-on , de le nommer. Sans même avoir à l e dire , la pudeur moderne obtiendrait qu'on n'en parle pas, par le seul jeu de prohibitions qui renvoient les unes aux autres : des mutismes qui, à force de se taire, imposent le silence.
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